Blog du SOCIAL et du COMITE SOCIAL ET ECONOMIQUE 01.82.83.14.00 Non classé CSE AUDITION DE SALARIES PAR L EXPERT COMPTABLE

CSE AUDITION DE SALARIES PAR L EXPERT COMPTABLE

CSE AUDITION DE SALARIES PAR L EXPERT COMPTABLE

L’expert-comptable, désigné par un comité social et économique (CSE) dans le cadre de la consultation sur la politique sociale, les conditions de travail et l’emploi, s’il considère que l’audition de certains salariés de l’entreprise est utile à l’accomplissement de sa mission, ne peut y procéder qu’à la condition d’obtenir l’accord exprès de l’employeur et des salariés concernés.

La Haute juridiction vient de répondre à une question inédite qui lui était posée : l’autorisation de l’employeur est-elle nécessaire pour que l’expert-comptable du CSE puisse mener des entretiens avec des salariés (et les lui facturer) ?Pour mémoire, le CSE peut, sans que cette liste soit limitative, recourir à :

  • un expert-comptable notamment :
    • en vue de la consultation sur les orientations stratégiques de l’entreprise, celle sur la situation économique et financière de l’entreprise, celle sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi ;
    • à l’occasion d’opérations de concentration ;
    • à la suite de l’exercice d’un droit d’alerte économique, dans le contexte d’offres publiques d’acquisition ;
    • ou encore en cas de licenciements collectifs pour motif économique.
  • à un expert habilité :
  • lorsqu’un risque grave est constaté dans l’établissement ;
  • en cas d’introduction de nouvelles technologies ;
  • en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail ;
  • ou encore dans les entreprises d’au moins 300 salariés, en vue de préparer la négociation sur l’égalité professionnelle.

La dissociation du bénéficiaire de l’expertise (le CSE) et de celui qui en assume le coût (l’employeur en tout ou partie), est généralement le point de crispation.

À ce titre, en application de l’article L. 2315-86 du Code du travail , la contestation par l’employeur de l’expertise peut porter soit :

  • sur la nécessité de recourir à un expert (il demande alors l’annulation de la délibération du CSE) ;
  • sur le choix de l’expert (il demande l’annulation de la désignation de l’expert) ;
  • sur le coût prévisionnel, la durée et l’étendue de l’expertise (il attaque alors la lettre de mission de l’expert) ;
  • sur le coût final et pour cela il soumet au juge la notification du coût final qu’on lui a adressé.

Le contentieux relatif au coût prévisionnel ou final des expertises ne se tarit pas, comme en témoigne à nouveau cet arrêt du 28 juin 2023.

En l’espèce, un CSE a décidé du recours à une expertise diligentée par un expert-comptable, afin d’être accompagné à l’occasion des consultations annuelles relatives à la situation économique et financière de la société et à la politique sociale, les conditions de travail et l’emploi.

Rappelons que s’agissant des experts-comptables, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 24 de l’ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 , leurs honoraires « doivent être équitables et constituer la juste rémunération du travail fourni comme du service rendu ».

Classiquement, l’expert a notifié à la société sa lettre de mission, qui comportait le coût prévisionnel de son intervention.

En effet, pour mémoire, que ce soit l’expert-comptable ou l’expert habilité, les deux rédigent une lettre de mission, aux termes de laquelle ils détaillent notamment le nombre de jours prévisibles de la mission, usuellement selon un découpage séquentiel et par étapes de ladite mission. Certains éléments de la lettre de mission rédigée par l’expert peuvent ainsi apparaître disproportionnés (nombre de consultants, nombre de jours dédiés à : la phase d’élaboration de la proposition, aux entretiens éventuels à réaliser avec les salariés par exemple, à la réunion des éléments nécessaires à la mission, à l’étude et l’analyse des documents, à la rédaction et à l’élaboration du rapport d’expertise, à la présentation du rapport en réunion préparatoire et plénière du CSE, etc.) et/ou sans cohérence avec l’étendue ou l’objet de la mission.

En l’espèce, ce coût prévisionnel incluait, notamment, un nombre d’entretiens avec les salariés de la société, à savoir des entretiens avec vingt-cinq salariés d’une durée de 1 heure 30 chacun, outre un battement de 15 minutes entre chaque entretien, soit un total de cinq entretiens sur cinq à six jours facturables.

La société a assigné le CSE et l’expert devant le président du tribunal judiciaire en vue d’obtenir la réduction tant du taux journalier pratiqué par l’expert-comptable que de la durée totale de l’expertise.

Le tribunal judiciaire a accueilli les demandes de la société et a retenu que l’expert ne peut pas mener et donc facturer des entretiens avec les salariés sans l’accord de l’employeur.

L’expert-comptable a donc formé un pourvoi en cassation.

La Cour de cassation juge que l’expert-comptable, désigné dans le cadre de la consultation sur la politique sociale, les conditions de travail et l’emploi, s’il considère que l’audition de certains salariés de l’entreprise est utile à l’accomplissement de sa mission, ne peut y procéder qu’à la condition d’obtenir l’accord exprès de l’employeur et des salariés concernés. En conséquence, le président du tribunal en a exactement déduit que devait être rejetée la demande de l’expert-comptable tendant à faire injonction à l’employeur de lui permettre de conduire lesdits entretiens de sorte que le nombre de jours prévus pour l’expertise devait être réduit.

Cette solution permet de rappeler que si les pouvoirs des experts des CSE sont larges (I.), ils ne sont pas illimités (II.).

I. Les pouvoirs d’investigations larges des experts-comptables du CSE

La mission de l’expert-comptable porte sur tous les éléments d’ordre économique, financier, social ou environnemental nécessaires à : la compréhension des orientations stratégiques de l’entreprise, la compréhension des comptes et à l’appréciation de la situation de l’entreprise, à la compréhension de la politique sociale de l’entreprise, des conditions de travail et de l’emploi.

En application de l’article L. 2315-83 du Code du travail , l’employeur doit fournir à l’expert les informations nécessaires à l’exercice de sa mission.

À ce titre, l’expert est le seul juge de l’utilité des documents dont il réclame la communication et il ne peut lui être opposé la nature confidentielle des informations demandées, puisqu’il est lui-même soumis à des obligations de secret et de discrétion en vertu de l’article L. 2315-84 du Code du travail .

À titre d’exemple, dans les groupes de sociétés, l’expert-comptable peut solliciter des informations sur les autres sociétés du groupe dès lors qu’il l’estime utile à sa mission et que celle-ci n’excède pas l’objectif défini par la loi. Ainsi, l’entreprise dans laquelle il est désigné doit lui communiquer les documents demandés, appartenant à d’autres sociétés du groupe ou à la société mère, sauf à établir une impossibilité de recueillir ces informations.

De même, si l’expert estime que l’analyse des fichiers relatifs à la rémunération du personnel est nécessaire à son appréciation de la situation économique et financière de l’entreprise, il peut, même sans demande spécifique du CSE, accéder aux documents correspondants et les étudier.

Précisons encore que les documents et informations dont l’expert-comptable peut solliciter la communication n’ont pas à être limités à ceux qui figurent dans la base de données économique, sociale et environnementale.

Évidemment, tout élément demandé doit être en rapport avec l’objet de la mission qui lui a été confiée, et le juge pourrait sanctionner tout abus de droit commis par l’expert-comptable. Un tel abus serait caractérisé, par exemple, si l’expert-comptable exigeait la production de documents inexistants et dont l’établissement est facultatif ou sans rapport avec sa mission.

Enfin, il convient de souligner que les experts-comptables ont libre accès dans l’entreprise pour les besoins de leur mission. Ainsi, et sauf à commettre un délit d’entrave, l’employeur ne peut s’opposer à l’entrée de l’expert dans l’entreprise.

L’expert dispose donc d’une large autonomie pour accomplir sa mission, de sorte que mener des entretiens avec des salariés, pour les besoins de sa mission, ne semblait pas poser de difficultés juridiques en apparence.

II. Les pouvoirs d’investigations encadrés des experts-comptables du CSE

La Cour de cassation refuse cependant de déduire de l’obligation pour l’employeur de fournir les informations nécessaires à l’exercice de la mission de l’expert-comptable et du droit d’accès par ce dernier aux locaux de l‘entreprise un droit pour l’expert de mener des entretiens avec des salariés et les facturer à l’employeur sans son autorisation préalable et celle des salariés concernés.

Une solution analogue avait été rendue par le tribunal de grande instance de Paris dans une décision déjà ancienne.

Si l’accord des salariés concernés semble être une évidence, tant il serait contreproductif de forcer des individus à s’ouvrir auprès d’un expert, la condition posée d’une autorisation préalable de l’employeur semble quant à elle susciter plus d’interrogations que de réponses.

Doit-on y voir une décision transposable aux autres expertises comptables ? Un employeur serait-il légitime à refuser un entretien avec le comptable de l’entreprise, s’agissant d’une expertise relative à la situation économique et financière, ou un entretien avec le directeur des ressources humaines s’agissant d’une expertise sur la politique sociale ?

Ces entrevues semblent pourtant nécessaires et utiles à la réalisation de la mission de l’expert.

Cette décision peut selon nous, sans doute, s’expliquer par les circonstances de l’espèce au regard du nombre important d’entretiens prévus (25) et leur durée (1h30) pour ce type spécifique de mission.

Cependant, même cette explication d’espèce nous paraît imparfaite. En effet, si sur le papier cette configuration pouvait sembler disproportionnée, la solution radicale retenue par les juges du quai de l’Horloge n’est pas exempte de critiques, puisqu’elle revient finalement à conférer au seul dirigeant le pouvoir de décider si ces entretiens sont utiles à la réalisation de la mission de l’expert-comptable. Or, la Cour de cassation aurait certainement pu étendre sa solution constante relative au droit d’accès documentaire de l’expert-comptable à l’accès aux salariés, dans la mesure où les juges du fond conservent le pouvoir de réduire la durée et le nombre d’entretiens (et donc la durée de la mission) si ceux-ci apparaissent démesurés. D’ailleurs, la présente décision prend justement le soin de rappeler que les juges du fond estiment souverainement la durée prévisionnelle et le coût prévisionnel de l’expertise en fonction de la mission confiée à l’expert. Une solution plus nuancée, mais protectrice des droits de l’employeur, aurait donc pu être retenue.

À titre superfétatoire, on peut remarquer que les juges du fond, dans l’espèce commentée, avaient notamment fondé leur décision au motif que selon « le guide des missions de l’expert-comptable » des entretiens ne peuvent être réalisés avec les membres du personnel qu’avec l’accord de la direction. Il s’agit là d’une méthodologie proposée par l’ordre des experts-comptables permettant de réaliser, dans un cadre sécurisé, les expertises auprès du CSE. S’il est vrai que fonder une décision sur un tel guide peut sembler inattendu, la Cour de cassation a jugé la critique de ce motif surabondant.

Cette solution peut-être être appliquée aux experts habilités ?

Nous ne croyons pas qu’il s’agisse là de l’intention de la Haute juridiction.

En effet, les entretiens de salariés dans le cadre d’une expertise « projet important » ou « risque grave » sont généralement essentiels, et il n’a jamais été exigé une quelconque autorisation préalable de l’employeur, qui pourrait avec cette faculté faire échec à ce type d’expertises en les vidant de toute substance et pertinence.

Auréolée de son mystère, la Haute juridiction adresse parfois des messages qui ne sont pas toujours audibles, et dont on a le sentiment qu’elle ne mesure pas toujours les conséquences et la portée.

Les voies de la Cour sont impénétrables.

Gageons donc qu’elle entende rapidement nos suppliques et se prononce rapidement sur ces questions en suspens.

Par Jérémie Jardonnet, Avocat associé au cabinet Hujé Avocats, le 13 Septembre 2023

SOURCE : Lexbase Social n°956 du 14 septembre 2023 : Comité social et économique

Réf. : Cass. soc., 28 juin 2023, n° 22-10.293, FS-B N° Lexbase : A268697M

Related Post